mardi 23 mai 2017

[L'étagère des classiques] Moderato cantabile - Marguerite Duras

126 pages (Editions de Minuit) - 4.5/5

Alors qu’elle accompagne son fils à sa leçon de piano, Anne Desbaresdes entend un cri. Plus tard, elle se rend sur la scène du crime et commence à s’imaginer ce qui a pu en être à l’origine. Partageant ses hypothèses avec Chauvin, un autre témoin de la scène, Anne Desbaresdes commence à s’interroger sur son existence, plongeant peu à peu dans les tourbillons de l’ivresse et s’éloignant par la même occasion de sa vie bien installée.  


« Le même trouble que la veille ferma les yeux 
d'Anne Desbaresdes, lui fit, de même, courber les épaules d'accablement. »


En bref... cette lecture est très curieuse. L’intrigue n’en est pas réellement une ; le lecteur semble plongé dans la même torpeur que le personnage. En même temps, ce livre est envoûtant. Même à la fin, il subsiste des questions qui donnent envie de relire ce livre, de le comprendre profondément à travers un sens caché. L’écriture pure de Marguerite Duras accompagne ce cheminement tranquille mais non moins bouleversant.


J'avoue que je ne sais trop dans quelle catégorie placer ce livre... Par défaut, je l'ai placé en tant que "Classiques" car Marguerite Duras a été publiée dans les Editions de la Pléiade, on peut donc la considérer comme une référence littéraire. Ce livre n'est pas réellement une romance, seulement une attirance ; pas un drame, puisqu'il n'y a pas de réelle fin, pas un policier en dépit du crime qui ouvre le livre... Vous l'aurez compris, ce livre laisse en tête de nombreuses questions auxquelles le lecteur n'obtient pas forcément de réponses. J'ai dû le lire dans le cadre d'une lecture scolaire en illustration du Nouveau Roman, et je me suis surprise à beaucoup aimer.

En effet, le livre s'ouvre sur une leçon de piano. Dès ce chapitre -le livre est composé de 8 chapitres- j'ai été plongée dans l'atmosphère étrange du roman. L'élément perturbateur de la scène banale est un cri et un coup de feu provenant d'un café voisin : cela va entraîner l'héroïne, Anne Desbaresdes, à retourner sans cesse au café pour en savoir plus sur le meurtre passionnel d'une femme par son amant. Au café, elle va rencontrer un homme, appelé Chauvin. Ces rencontres seront l'objet de la plus grande partie du livre (des chapitres 2 à 8, exceptés le 5 et la moitié du 7), quasiment l'intégralité. Au cours de ces rencontres, les discussions que les deux personnages mènent sont, disons-le, tordues ; il faut suivre, car deux sujets de conversation sont perpétuellement emmêlés : Anne parle du meurtre et Chauvin des habitudes d'Anne, et lorsqu'ils s'accordent sur un même sujet, cela finit toujours par dévier vers l'autre. Chacun reste donc dans son monde, alors qu'ils sont déjà exclus du reste du monde... La leçon de piano est reprise au chapitre 5, à la fois pour marquer le temps qui passe sans changement notable, mais également pour montrer l'attitude déconcertante d'Anne, à la fois envers les autres personnages (son fils et la maîtresse de piano) qu'envers son environnement. Cette attitude inconvenante se retrouve également à la fin du roman lors de la réception mondaine qui a lieu chez elle dans la seconde partie du chapitre 7 : dans un milieu bourgeois, elle ne répond pas aux convenances, et c'est dans ce chapitre-là que l'on perçoit le plus la rupture que ce roman veut exprimer.

L'opposition entre différents mondes est omniprésente dans le roman : autant par l'attitude des personnages, entre Anne et les bourgeois, et rien que par la présence de la leçon de piano et de la réception bourgeoise parmi les scènes au café ; j'ai beaucoup aimé cette rupture, et l'évolution du personnage dans le livre, qui parvient à s'affranchir des codes de la bourgeoisie, vers plus de libertés : l'héroïne prend également conscience qu'elle ne pourrait pas continuer à vivre comme avant le meurtre, qui a déclenché son envie d'autre chose, après avoir goûté à l'univers populaire libéré de toute contrainte.

Anne Desbaresdes est ainsi un personnage très intéressant, car au final, on en sait peu sur sa personnalité, ou rien que son physique : seules les discussions nous permettent de percevoir à quel point elle est bouleversée, elle se sent mal dans le monde bourgeois, et son malaise est réellement attachant. On a hâte de savoir où tout cela va la mener, et par ses réactions, d'en apprendre encore plus sur elle. Sa relation avec Chauvin est très étrange -ce mot revient décidément souvent !- car on ne ressent pas d'amour véritable entre eux, seulement une sorte d'attirance physique. Je vous ai déjà parlé de leurs dialogues, mais je dois revenir sur les questions que pose Chauvin. En effet, il interroge parfois la jeune femme pour savoir si elle continue ses habitudes de l'an passé. Or, pour les connaître, il a bien fallu qu'il l'observe, l'espionne en quelque sorte ? Sa personnalité ne m'a pas séduite, et j'ai eu du mal à adhérer avec son personnage qui s'approchait du psychopathe à certains moments. Les autres personnages secondaires sont assez stéréotypés : la maîtresse de musique acariâtre et autoritaire, le mari soucieux des convenances et contrarié par l'attitude d'Anne, entre autres. Un de ces personnages sur lequel je dois revenir est l'enfant d'Anne Desbaresdes. Je ne vous donne pas son prénom car le lecteur ne le connaît pas. Ce choix montre qu'il n'a qu'une place secondaire, mais j'ai été très émue par son comportement, au vu de sa relation avec sa mère : celle-ci ne se préoccupe que peu, si ce n'est aucunement, de lui, mais il continue à lui manifester son soutien et à rechercher son approbation et son affection.

La fin est largement ouverte, et laisse place à de nombreuses questions. Personnellement, je m'attendais à ce que le meurtre du début du livre soit reproduit, car la répétition des scènes induit un schéma très cyclique ; cependant, le côté répétitif n'est pas du tout lassant, et apporte continuellement de nouvelles informations : je n'ai en aucun cas vécu cela comme des longueurs ! La fin est également mystérieuse : elle est annoncée sur la quatrième de couverture de mon édition, mais on ne sait pas ce qu'il va advenir des personnages. Ainsi, Duras ne nous laisse que des suppositions, et le lecteur est plus que libre d'imaginer la suite qu'il préfère. J'avoue avoir été quelque peu frustrée au début, mais je me suis rapidement mise à apprécier ce choix. Mais le roman n'est-il pas une dénonciation des codes fermés de la bourgeoisie ? Ou du moins une critique ? N'est-ce pas ce que l'auteur elle-même a souhaité nous faire comprendre ? C'est ce que j'ai pu imaginer. Narrer uniquement l'aventure d'une jeune femme dans un moment de crise me semble trop banal.

L'écriture de Marguerite Duras est très dénudée : il n'y a pas de description physique, ou alors elle est très restreinte, mais cela colle parfaitement à la psychologie du personnage. Les seules descriptions présentes sont celles de la nature et des éléments, mais tout s'accorde parfaitement avec l'histoire (il doit être précisé que le titre de l'œuvre signifie "modéré et chantant"). L'écriture est particulièrement importante dans ce livre, car elle immerge complètement le lecteur dans l'ambiance du café et l'univers créé autour d'Anne et Chauvin. J'ai trouvé tous les choix linguistiques de l'auteur -la répétition se traduit également par un vocabulaire peu développé- judicieux, et j'aimerais beaucoup lire d'autres de ses livres (je pense actuellement à La Douleur, récit de l'expérience de Robert Antelme dans les camps nazis).

J'ai conscience que ma chronique ne donne pas forcément envie de lire ce roman, mais je vous le conseille particulièrement : soit pour découvrir ce genre qu'est le Nouveau Roman, ou l'écriture de Marguerite Duras, ou rien que pour plonger dans un univers particulier dans lequel le lecteur est prisonnier jusqu'à la fin, tellement le cycle est envoûtant. En tout cas, Moderato cantabile ne m'a pas laissée indifférente.

4 commentaires:

  1. Je l'ai lu lorsque j'étais en première et il ne m'avait pas particulièrement plu ^^ mais peut-être que j'étais trop jeune à l'époque pour vraiment apprécier le style de Duras.

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    1. Je l'ai lu dans le même contexte, et il m'a presque aussitôt plu. J'ai même bien envie de le relire; si tu fais de même, j'espère que tu l'apprécieras plus que la première fois !

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  2. J'ai eu l'occasion d'étudier le style de Marguerite Duras pendant près de quatre heures pour mon bac. Ta critique était très bien, mais je pense qu'il va falloir que je me remette de ces examens pour lire à nouveau cette auteure par plaisir. x)

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    1. Je l'ai lu pour le bac de français mais j'ai tout de même apprécié ma lecture. J'ai bien envie de lire une autre de ses oeuvres, qu'as-tu eu à lire ? :)

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